Voilà un petit texte que j'ai écrit au début de l'année scolaire. Bonne lecture, et n'oubliez pas de commenter!
-Ecoutez-moi
tous !! Je vais être absente pendant un mois car je pars en Allemagne avec
des troisièmes, proclama Mme Poirier, notre prof de français.
Les visages autour de moi exprimaient des moues déçues,
voire désapprobatrices.
-Ne vous inquiétez
pas, je connais mon remplaçant, il est aussi sympa que moi.
« Surtout, te jettes pas des fleurs, pensai-je avec
force. »
-Je pars début
décembre, nous aurons donc tout le temps de nous organiser, continua-t-elle de
sa voie aiguë.
Le 15 décembre, le
remplaçant, bien qu’arrivé depuis dix jours, ne nous faisait pas le même effet
qu’à la prof . Il mettait des mauvaises notes à tout le monde, et la moyenne de
français était en train de passer de quatorze à deux.
Un jour, alors que
je rangeais mes affaires, le visage baigné de larmes à cause d’un nouveau zéro,
« le vieux » (c’est à dire Mr Imar), m’appela. Son haleine fétide
m’atteignit en plein visage lorsqu’il me dit :
-Mr Mathis, j’ai
remarqué que votre moyenne était descendue très bas assez rapidement.
Je sais aujourd’hui qu’il avait prononcé cette phrase afin
de m’attirer entre les mailles de son filet diabolique. Mais là, j’étais occupé
à essuyer le plus discrètement possible les postillons de salive dont mon
visage était recouvert.
-Vous avez votre
part de responsabilité, répliquai-je, intrigué malgré tout.
-Petit
insolent !! Mais vous avez de la chance, je suis dans un bon jour, et
j’aime les jeunes esprits téméraires... Je vais vous proposer un marché :
vous allez lire un livre et, en échange, je vous offrirai cette jeune fille que
vous regardez avec tant d’insistance...
J’essayai vainement de cacher mon malaise.
-Je ne vois
absolument pas de quoi vous parlez, lâchai-je.
Ses lèvres fines esquissèrent un sourire mauvais, dévoilant
des dents jaunies par le tabac.
-Vous pouvez
toujours faire le malin, je suis observateur. Acceptez-vous mon marché, ou
préférez-vous finir puceau et vieux garçon ?
Vaincu, je baissai la tête, posant le regard sur les dessins
morbides dispersés sur son bureau.
-Quel livre dois-je
lire ? dis-je sèchement, accablé par la décision que je venais de prendre.
-Il n’est pas très
connu... Ne l’ouvrez qu’une fois revenu chez vous.
Je pris le livre qui ne possédait ni titre ni auteur. En
fait, la couverture était seulement composée de carton noir. Entièrement
absorbé par ce qui venait de se passer, je n’entendis pas ce que me dit mon
professeur :
Bonne lecture...
A partir de ce jour funeste, tout bascula.
Laissez moi vous
décrire mon professeur : petit, le crâne chauve, cet homme que nous
détestions tant était le mal incarné. Sa peau rouge donnait l’impression qu’il
avait attrapé un gros coup de soleil. Ses petits yeux malsains vous lançaient
des regards pervers dès que vous osiez croiser le regard « sacré ».
Il paraissait chausser du soixante, tellement ses pieds étaient immenses. Il
possédait une telle arrogance qu’il semblait se pavaner dans les couloirs.
Moi, Antoine
Mathis, modeste élève de 4e C, me trouvai moche mais était qualifié
par la gente féminine de « mignon ». Et m’en trouvai enlaidi.
Je possédait de
« belles » boucles brunes et j’avais -toujours d’après le peuple
féminin- un « ma-gni-fique » teint mat. Mes « extraordinaires
yeux verts émerveillaient toutes les filles ; sauf une, évidemment... Léa
ne semblait intéressée ni par ma grande taille ni par mes tablettes de
chocolat.
Elle pouvait bien
se le permettre... Elle avait les cheveux d’un blond si clair qu’il en
paraissait blanc et nous éblouissait, nous, les pauvres imbéciles dont aucun ne
semblaient mériter son attention. Ses yeux azurs étaient d’un bleu si profond
qu’on pouvait se noyer dedans rien qu’en la regardant. Les filles la
haïssaient, les garçons l’adoraient. Elle était la fille parfaite, la femme
fatale, celle qui occupait toutes nos pensées et remplissait tous nos rêves.
De retour chez moi,
une fois mon cartable posé, je ne m’avachis pas devant la télé comme
d’habitude. A la place, je montai dans ma chambre et ouvris le livre. Je crus
halluciner. Les pages étaient vides !!
Le lendemain matin,
j’allai voir le prof. En ricanant, il me dit :
-
Mr Mathis... de quoi avez-vous rêvé cette
nuit ?
-
De, heu... Cela ne vous regarde
pas !! protestai-je avec véhémence, piqué à vif.
Furieux, je quittai le prof et allai m’adosser à un arbre.
Trop impatient pour attendre le soir, je sortis le mystérieux bouquin et
décidai de l’explorer. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les premières
pages étaient remplies des rêves idiots que j’avais fait pendant la nuit...
La nuit suivante,
je fis un mauvais rêve. Je me concentrai sur mon contrôle de géométrie quand je
me rendis compte que toutes mes affaires avaient disparues. Je n’avais plus,
pour réussir cette évaluation, que mes mains vides... Et je me réveillai, en
sueur. Fébrile, je consultai le livre, pour constater, soulagé, que les pages
étaient vides de toutes notion mathématiques. Je ne savais pas, alors, que le
carnet ne se remplissait qu’au petit matin...
Le lendemain, je
commençai la journée avec anxiété, car une interrogation de math était prévue
en deuxième heure. Au bout d’un quart d’heure, n’ayant pas compris le premier
exercice, je louchai sur mon voisin, quand la prof s’écria :
-Antoine, si vous
sortiez vos instruments de géométrie, peut-être n’auriez-vous pas besoin de
loucher sur la copie de Titouan...
Les joues en feu, je détournai aussitôt le regard. En
fouillant dans mon sac, je découvris avec horreur que j’avais oublié mes
instruments! J’étais pourtant certain de les avoir mis dans mon sac. Avec une
terreur encore plus grande, je m’aperçus que la situation m’était familière.
Seulement, je n’avais pas le souvenir d’avoir déjà vécu pareille situation !
Qui m’échappait...
Résigné à louper mon contrôle, j’attendis la récréation avec
une impatience qui ne m’étais pas habituelle. Mme Lison me le fis
remarquer , mais elle n’obtint pour seule réponse qu’un haussement
d’épaule.
Une fois au grand
air, je vis avec stupeur que mes rêves étaient racontés en toutes lettres sur
le cahier noir. D’où mon malaise en math ! Je vivais un véritable
cauchemar.
Heureusement, la
nuit suivante me fus plus agréable que les précédentes. Je rêvais de Léa, qui
s’intéressait enfin à moi. Au cours de la journée qui suivit, mon rêve se réalisa,
m’offrant enfin le moment de paix et de bonheur que j’attendais. Hélas, ce
bonheur fut de courte durée. Mr Imar, en
plein cours de français, me demanda brusquement :
-Alors, aimez-vous
votre livre ?
Sous la table, je serrais la main de Léa.
-Je trouve que le
héros subit trop, il ne peut pas assez se reposer, envoyai-je d’une voix calme.
-Chacun ses goûts,
soupira-t-il ironiquement, avant de poursuivre le cours.
Le lendemain, conformément à mon rêve, je me disputai avec
Léa et « apprit » que Mme Pommier serait absente encore une semaine.
Dans les jours qui
suivirent, je vis avec horreur ou bonheur tous mes rêves se réaliser.
Malheuresement, tout ne redevenais pas comme avant par la suite. C’était comme
si je possédais une sorte de pouvoir de voyance.
Après les vacances de Noël, je m’aperçus avec un nouveau
désespoir que les rêves que j’avais fait du collège pendant les vacances
rattrapaient leur retard.
Et puis un jour, le
cahier fut plein. Mais quand je l’annonçai au prof, il ne fit que ricaner. Le
lendemain matin, je découvris avec stupeur que le rêve que j’avais fait de Mr
Imar pendant la nuit, où il me disait « trop tard, trop tard... » en
ricanant n’était pas inscrits dans le carnet. En fait, le carnet était vide.
Tous les rêves qui y étaient notés avaient disparus.
Cela continua ainsi
pendant plusieurs semaines. Mme Pommier ne faisait que repousser son retour au
collège. Jusqu'au jour où le principal vint nous annoncer son décès ? Bien
sûr, j’étais déjà au courant : je venais de le rêver ! Je me suis
remis avec Léa ; nous avions tous les deux besoin de réconfort et de
tendresse. Mr Imar fut désigné comme notre nouveau professeur de français.
A la fin de
l’année, j’étais épuisé. Les somnifères « sommeil sans rêves »
n’avaient aucun effet. Ma moyenne approchait les 0,5, et les séances chez le
psy ne me servaient à rien. J’avais déjà trois tentatives de suicide à mon
compte, et Léa ne savait plus que faire pour m’aider. Je l’avais finalement mise au courant du sortilège qui me rendait fou. Souvent, j’avais essayé de détruire
le carnet ; mais il revenait toujours, comme un chien fidèle, sur ma table
de chevet. J’avais également tenté les nuits blanches, mais invariablement,
quelque soit le nombre de tasses de café que j’avais prises, je finissais
toujours par m’endormir. Pour la première fois, je souhaitai que les vacances
d’été passent vite.
A la rentrée, mon
soulagement fut immense quand j’appris que Mr Imar n’était plus au collège.
Plusieurs fois au cours de l’année précédente, j’avais rêvé que « le
Diable », comme je le surnommai désormais, changeai de collège, mais
j’avais finis par comprendre que les rêves où il apparaissait ne se réalisaient
pas.
Je ne revis jamais
Mr Imar. Mais non seulement mes rêves diaboliques continuèrent, mais je loupai
chacune de mes tentatives de suicide, qui étaient d’ailleurs ponctuées par des
disputes avec ma copine du moment.
Epilogue
Aujourd’hui, j’ai
quatre-vingt-sept ans, et je viens d’apprendre que je suis victime d’un énième
cancer. Tout au long de ma vie j’ai subi diverses pathologies qui ont apportées
chacune leur lot de souffrance. En général, pendant que j’agonisai, je rêvai ma
femme avec un autre homme. Je suis même enté dans le Livre des Records comme
l’homme qui a survécu au plus de cancers. Mais je sais aussi que je suis
l’homme qui a été le plus cocu.
Alors voilà, cher
journal, tu sais à présent combien j’ai souffert. Je t’ai livré mes secrets
pour décharger ma conscience, et car je sais, grâce à mes rêves, que dans quelques heures ma
maison brûlera... et moi avec.
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