21 juin 2014

Ecriture : Faites que la vie dévore votre rêve, afin que le rêve ne dévore votre vie...

Voilà un petit  texte que j'ai écrit au début de l'année scolaire. Bonne lecture, et n'oubliez pas de commenter!

   -Ecoutez-moi tous !! Je vais être absente pendant un mois car je pars en Allemagne avec des troisièmes, proclama Mme Poirier, notre prof de français.
Les visages autour de moi exprimaient des moues déçues, voire désapprobatrices.
   -Ne vous inquiétez pas, je connais mon remplaçant, il est aussi sympa que moi.
« Surtout, te jettes pas des fleurs, pensai-je avec force. »
   -Je pars début décembre, nous aurons donc tout le temps de nous organiser, continua-t-elle de sa voie aiguë.

   Le 15 décembre, le remplaçant, bien qu’arrivé depuis dix jours, ne nous faisait pas le même effet qu’à la prof . Il mettait des mauvaises notes à tout le monde, et la moyenne de français était en train de passer de quatorze à deux.

   Un jour, alors que je rangeais mes affaires, le visage baigné de larmes à cause d’un nouveau zéro, « le vieux » (c’est à dire Mr Imar), m’appela. Son haleine fétide m’atteignit en plein visage lorsqu’il me dit :
   -Mr Mathis, j’ai remarqué que votre moyenne était descendue très bas assez rapidement.
Je sais aujourd’hui qu’il avait prononcé cette phrase afin de m’attirer entre les mailles de son filet diabolique. Mais là, j’étais occupé à essuyer le plus discrètement possible les postillons de salive dont mon visage était recouvert.
   -Vous avez votre part de responsabilité, répliquai-je, intrigué malgré tout.
   -Petit insolent !! Mais vous avez de la chance, je suis dans un bon jour, et j’aime les jeunes esprits téméraires... Je vais vous proposer un marché : vous allez lire un livre et, en échange, je vous offrirai cette jeune fille que vous regardez avec tant d’insistance...
J’essayai vainement de cacher mon malaise.
   -Je ne vois absolument pas de quoi vous parlez, lâchai-je.
Ses lèvres fines esquissèrent un sourire mauvais, dévoilant des dents jaunies par le tabac.
   -Vous pouvez toujours faire le malin, je suis observateur. Acceptez-vous mon marché, ou préférez-vous finir puceau et vieux garçon ?
Vaincu, je baissai la tête, posant le regard sur les dessins morbides dispersés sur son bureau.
   -Quel livre dois-je lire ? dis-je sèchement, accablé par la décision que je venais de prendre.
   -Il n’est pas très connu... Ne l’ouvrez qu’une fois revenu chez vous.
Je pris le livre qui ne possédait ni titre ni auteur. En fait, la couverture était seulement composée de carton noir. Entièrement absorbé par ce qui venait de se passer, je n’entendis pas ce que me dit mon professeur :
  Bonne lecture...
A partir de ce jour funeste, tout bascula.


   Laissez moi vous décrire mon professeur : petit, le crâne chauve, cet homme que nous détestions tant était le mal incarné. Sa peau rouge donnait l’impression qu’il avait attrapé un gros coup de soleil. Ses petits yeux malsains vous lançaient des regards pervers dès que vous osiez croiser le regard « sacré ». Il paraissait chausser du soixante, tellement ses pieds étaient immenses. Il possédait une telle arrogance qu’il semblait se pavaner dans les couloirs.

   Moi, Antoine Mathis, modeste élève de 4e C, me trouvai moche mais était qualifié par la gente féminine de « mignon ». Et m’en trouvai enlaidi.
   Je possédait de « belles » boucles brunes et j’avais -toujours d’après le peuple féminin- un « ma-gni-fique » teint mat. Mes « extraordinaires yeux verts émerveillaient toutes les filles ; sauf une, évidemment... Léa ne semblait intéressée ni par ma grande taille ni par mes tablettes de chocolat.
   Elle pouvait bien se le permettre... Elle avait les cheveux d’un blond si clair qu’il en paraissait blanc et nous éblouissait, nous, les pauvres imbéciles dont aucun ne semblaient mériter son attention. Ses yeux azurs étaient d’un bleu si profond qu’on pouvait se noyer dedans rien qu’en la regardant. Les filles la haïssaient, les garçons l’adoraient. Elle était la fille parfaite, la femme fatale, celle qui occupait toutes nos pensées et remplissait tous nos rêves.

   De retour chez moi, une fois mon cartable posé, je ne m’avachis pas devant la télé comme d’habitude. A la place, je montai dans ma chambre et ouvris le livre. Je crus halluciner. Les pages étaient vides !!

   Le lendemain matin, j’allai voir le prof. En ricanant, il me dit :
-         Mr Mathis... de quoi avez-vous rêvé cette nuit ?
-         De, heu... Cela ne vous regarde pas !! protestai-je avec véhémence, piqué à vif.
Furieux, je quittai le prof et allai m’adosser à un arbre. Trop impatient pour attendre le soir, je sortis le mystérieux bouquin et décidai de l’explorer. Aussi incroyable que cela puisse paraître, les premières pages étaient remplies des rêves idiots que j’avais fait pendant la nuit...

   La nuit suivante, je fis un mauvais rêve. Je me concentrai sur mon contrôle de géométrie quand je me rendis compte que toutes mes affaires avaient disparues. Je n’avais plus, pour réussir cette évaluation, que mes mains vides... Et je me réveillai, en sueur. Fébrile, je consultai le livre, pour constater, soulagé, que les pages étaient vides de toutes notion mathématiques. Je ne savais pas, alors, que le carnet ne se remplissait qu’au petit matin...

   Le lendemain, je commençai la journée avec anxiété, car une interrogation de math était prévue en deuxième heure. Au bout d’un quart d’heure, n’ayant pas compris le premier exercice, je louchai sur mon voisin, quand la prof s’écria :
   -Antoine, si vous sortiez vos instruments de géométrie, peut-être n’auriez-vous pas besoin de loucher sur la copie de Titouan...
Les joues en feu, je détournai aussitôt le regard. En fouillant dans mon sac, je découvris avec horreur que j’avais oublié mes instruments! J’étais pourtant certain de les avoir mis dans mon sac. Avec une terreur encore plus grande, je m’aperçus que la situation m’était familière. Seulement, je n’avais pas le souvenir d’avoir déjà vécu pareille situation ! Qui m’échappait...
Résigné à louper mon contrôle, j’attendis la récréation avec une impatience qui ne m’étais pas habituelle. Mme Lison me le fis remarquer , mais elle n’obtint pour seule réponse qu’un haussement d’épaule.

   Une fois au grand air, je vis avec stupeur que mes rêves étaient racontés en toutes lettres sur le cahier noir. D’où mon malaise en math ! Je vivais un véritable cauchemar.

   Heureusement, la nuit suivante me fus plus agréable que les précédentes. Je rêvais de Léa, qui s’intéressait enfin à moi. Au cours de la journée qui suivit, mon rêve se réalisa, m’offrant enfin le moment de paix et de bonheur que j’attendais. Hélas, ce bonheur fut de courte durée.  Mr Imar, en plein cours de français, me demanda brusquement :
   -Alors, aimez-vous votre livre ?
Sous la table, je serrais la main de Léa.
   -Je trouve que le héros subit trop, il ne peut pas assez se reposer, envoyai-je d’une voix calme.
   -Chacun ses goûts, soupira-t-il ironiquement, avant de poursuivre le cours.
Le lendemain, conformément à mon rêve, je me disputai avec Léa et « apprit » que Mme Pommier serait absente encore une semaine.


   Dans les jours qui suivirent, je vis avec horreur ou bonheur tous mes rêves se réaliser. Malheuresement, tout ne redevenais pas comme avant par la suite. C’était comme si je possédais une sorte de pouvoir de voyance.
Après les vacances de Noël, je m’aperçus avec un nouveau désespoir que les rêves que j’avais fait du collège pendant les vacances rattrapaient leur retard.
                                
   Et puis un jour, le cahier fut plein. Mais quand je l’annonçai au prof, il ne fit que ricaner. Le lendemain matin, je découvris avec stupeur que le rêve que j’avais fait de Mr Imar pendant la nuit, où il me disait « trop tard, trop tard... » en ricanant n’était pas inscrits dans le carnet. En fait, le carnet était vide. Tous les rêves qui y étaient notés avaient disparus.

   Cela continua ainsi pendant plusieurs semaines. Mme Pommier ne faisait que repousser son retour au collège. Jusqu'au jour où le principal vint nous annoncer son décès ? Bien sûr, j’étais déjà au courant : je venais de le rêver ! Je me suis remis avec Léa ; nous avions tous les deux besoin de réconfort et de tendresse. Mr Imar fut désigné comme notre nouveau professeur de français.

   A la fin de l’année, j’étais épuisé. Les somnifères « sommeil sans rêves » n’avaient aucun effet. Ma moyenne approchait les 0,5, et les séances chez le psy ne me servaient à rien. J’avais déjà trois tentatives de suicide à mon compte, et Léa ne savait plus que faire pour m’aider. Je l’avais finalement mise au courant du sortilège qui me rendait fou. Souvent, j’avais essayé de détruire le carnet ; mais il revenait toujours, comme un chien fidèle, sur ma table de chevet. J’avais également tenté les nuits blanches, mais invariablement, quelque soit le nombre de tasses de café que j’avais prises, je finissais toujours par m’endormir. Pour la première fois, je souhaitai que les vacances d’été passent vite.

   A la rentrée, mon soulagement fut immense quand j’appris que Mr Imar n’était plus au collège. Plusieurs fois au cours de l’année précédente, j’avais rêvé que « le Diable », comme je le surnommai désormais, changeai de collège, mais j’avais finis par comprendre que les rêves où il apparaissait ne se réalisaient pas.

   Je ne revis jamais Mr Imar. Mais non seulement mes rêves diaboliques continuèrent, mais je loupai chacune de mes tentatives de suicide, qui étaient d’ailleurs ponctuées par des disputes avec ma copine du moment.

 Epilogue

   Aujourd’hui, j’ai quatre-vingt-sept ans, et je viens d’apprendre que je suis victime d’un énième cancer. Tout au long de ma vie j’ai subi diverses pathologies qui ont apportées chacune leur lot de souffrance. En général, pendant que j’agonisai, je rêvai ma femme avec un autre homme. Je suis même enté dans le Livre des Records comme l’homme qui a survécu au plus de cancers. Mais je sais aussi que je suis l’homme qui a été le plus cocu.


  Alors voilà, cher journal, tu sais à présent combien j’ai souffert. Je t’ai livré mes secrets pour décharger ma conscience, et car je sais, grâce à mes rêves, que dans quelques heures ma maison brûlera... et moi avec.

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